Traduit du néerlandais vers le français par Paul Saussez
En avril 2007, je publiais sur cette page Web ma découverte d'une gravure par un artiste anonyme, élaborée à partir du "Repos Pendant la Fuite en Egypte à l'Eléphant" du grand maître Nicolas Poussin (1594-1665).
Gravure d'un artiste inconnu d'après l'oeuvre originale
"Le Repos Pendant la Fuite en Egypte à l'Eléphant" de Nicolas Poussin
(Photo © Thuillier 1974)
La gravure montre un épisode assez couramment illustré dans le monde artistique : après qu'un ange les ait prévenus que le roi Hérode allait massacrer tous les nouveaux-nés mâles, Joseph, Marie et l'enfant Jésus décident de quitter temporairement leur terre natale pour fuir en Egypte. La gravure dépeint un moment de repos pendant cette fuite.
Rien de spécial en soi si ce n'est qu'en arrière-plan, derrière l'éléphant, figure un tombeau similaire à celui que Poussin a peint dans Les Bergers d'Arcadie II. Cette gravure avec la deuxième tombe était alors inconnue dans le petit monde de Rennes-le-Château.
Quelques années plus tard, David Pybus, un enthousiaste anglais de Rennes-le-Château, m'informe qu'il existe une autre gravure similaire. Cette gravure a été faite en 1787 par le graveur italien Raffaelo Morghen d'après un tableau disparu de Poussin. Cette deuxième gravure se trouve actuellement aux National Galleries d'Ecosse. Par ailleurs, la gravure de Raffaelo Morghen confirme que le tombeau dépeint est bel et bien le même que celui qui est représenté dans Les Bergers d'Arcadie II, étant donné qu'il y avait encore une certaine ambiguïté sur ce point due à la petitesse de la photo de la première gravure.
Gravure de l'artiste italien Raffaello Morghen
d'après la représentation de la peinture perdue de Nicolas Poussin
(Photo © National Galleries Scotland)
Depuis 2007 et jusqu'à ce jour, le tableau original de Poussin qui a servi de modèle à la gravure reste introuvable. On ne sait rien du propriétaire actuel ni de l'endroit où se trouve l'oeuvre originale. D'après différents amateurs d'art, on ne retrouve pas trace du tableau, ou il serait même perdu. Cependant, 15 ans plus tard, j'ai retrouvé le tableau original de Poussin.
Fin 2021, je tombe sur un article très intéressant intitulé "Poussin's Elephant" par Louise Rice, Associate Professor of Art History à la New York University.
Dans cet article, Louise Rice décrit comment elle a pu dater avec précision le tableau de Nicolas Poussin "Hannibal traversant les Alpes à dos d'éléphant" à partir de documents retrouvés relatant un événement particulier. Il s'agit du fait qu'à partir de 1626, une compagnie de forains a fait la tournée des villes européennes avec un éléphant indien nommé "Don Diego", et ce au grand amusement du public.
"Hannibal traversant les Alpes à dos d'éléphant" de Nicolas Poussin
Pendant les années 1626-1627, Don Diego parcourt la France comme une attraction foraine. En 1628, les forains et leur éléphant passent par Gand et Anvers, où le peintre flamand Piere Paul Rubens en fait également le portrait. Puis c'est le tour de Utrecht en Hollande. En 1629, l'éléphant fait le tour de plusieurs villes en Allemagne. Partout où Don Diego est passé, l'impressionant animal a attiré une grande foule populaire.
Gravure sur bois à propos de la visite de l'éléphant Don Diego à Anvers en 1628
(Photo © Louise Rice 2017 - "Poussin's Elephant" - Tiré de "Nieuwe Tijdinghen", 30 juni 1628)
Don Diego arrive à Rome, la capitale italienne, dans la deuxième semaine de mai 1630. Parmi la foule de curieux venus voir l'éléphant, se trouve le peintre français Nicolas Poussin, qui - à cette époque - résidait déjà depuis plusieurs années à Rome. Il n'était d'ailleurs pas le seul artiste qui se soit déplacé pour étudier l'éléphant.
Sur la base de cette information, Louise Rice a déduit que le tableau "Hannibal traversant les Alpes à dos d'éléphant" ne pouvait pas avoir été peint aux alentours de 1625-1627 comme la plupart des historiens d'art le pensaient, mais plutôt dans la seconde moitié de l'année 1630.
A la fin de son article, Rice indique dans sa conclusion que l'éléphant n'a eu qu'une faible influence sur la suite du travail de Poussin, si ce n'est à une exception notable.
A ma grande satisfaction, Louise Rice parle - de manière assez surprenante - que vers les années 1635-1640, Poussin avait peint un autre tableau avec un éléphant à la demande de son mécène le cardinal italien - et futur pape Clément IX - Giulio Rospigliosi (1600-1669), à savoir "Le repos pendant la fuite en Egypte à l'éléphant".
Le tableau original "Le repos pendant la fuite en Egypte à l'éléphant" de Nicolas Poussin
(Photo © Louise Rice 2017 - "Poussin's Elephant")
La professeure Rice a ainsi confirmé ce que j'avais découvert précédemment, à savoir que le tableau avait été perdu depuis longtemps et n'avait été redécouvert que tout récemment.
De plus, Louise Rice n'était pas du tout au courant du mystère de Rennes-le-Château et de la ressemblance avec le tombeau des Pontils, quoiqu'elle fasse le lien dans son article avec l'autre tombe dans la seconde version de "Et in Arcadia Ego", soit "Les Bergers d'Arcadie II". D'après elle, la ressemblance entre les deux monuments dans les deux tableaux est "fascinante et mystérieuse", et - vraisemblablement - nous ne saurons jamais ce que Poussin a voulu précisément signifier par ce tombeau.
Que savons-nous précisément du tableau "Le repos pendant la fuite en Egypte à l'éléphant" de Nicolas Poussin ?
Observons d'abord que le tableau "Le repos pendant la fuite en Egypte à l'éléphant" a été commandé entre 1635 et 1640 par le cardinal italien Giulio Rospigliosi, futur pape Clément IX - comme je l'ai dit - et que c'est ce même prélat qui avait commandé Les Bergers d'Arcadie II. En termes de datation, il semble que les deux tableaux aient pu faire partie d'une seule et même commande. Pourrait-on même aller jusqu'à penser qu'ils faisaient partie d'un diptyque ? Je base cette supposition sur le fait que les deux tableaux ont presque les mêmes dimensions.
Le Peintre français Nicolas Poussin et le cardinal italien Giulio Rospigliosi.
Rospigliosi était le commanditaire de Poussin pour les deux tableaux.
Après la mort du cardinal en 1669, le tableau est resté dans la famille Rospigliosi jusqu'à la fin du 18ème siècle. Au début du 19ème siècle, la famille a mis le tableau en vente et vers 1803, "Le repos pendant la fuite en Egypte à l'éléphant" ainsi que deux autres tableaux de Poussin ont été acquis par le cardinal français Joseph Fesch, un éminent collectionneur d'art.
À la mort du cardinal Fesch, sa gigantesque collection de 22 000 tableaux a été mise aux enchères à Rome le 17 mars 1845. "Le repos pendant la fuite en Egypte à l'éléphant" a été vendu pour 1 700 écus à un certain George, conservateur-expert au musée du Louvre, et ce au nom d'un acheteur anonyme.
En 1864, le tableau apparaît dans la collection Forcade, après quoi il est à nouveau vendu le 2 avril 1873 à Paris. Il est possible qu'il ait abouti dans la collection Chennevières-Pointel, mais à partir de là, sa trace disparaît complètement.
C'est en 2022 que j'apprends que le tableau "Le repos pendant la fuite en Egypte à l'éléphant" est en possession d'une famille française depuis 1996. Pour l'instant, il n'est donc pas possible d'admirer le tableau dans un musée. Louise Rice a contacté le propriétaire du tableau, qui lui en a généreusement transmis une photographie.
Récemment j'ai également remarqué que L'Hôtel des ventes Drouot a redécouvert le tableau en avril 2022 sur cette page de leur site internet.
Nous pouvons compiler les informations les plus pertinentes sur "Les Bergers d'Arcadie II" et "Le repos pendant la fuite en Egypte à l'éléphant" comme suit :
Tableau | Les Bergers d’Arcadie | Le repos pendant la fuite en Egypte à l’éléphant |
---|---|---|
Commanditaire | Cardinal Giulio Rospigliosi | Cardinal Giulio Rospigliosi |
Année | 1639-1640 | 1635-1640 |
Dimensions | 85 cm x 121 cm (La toile dans le cadre) |
84 cm x 108 cm |
Situation actuelle | Museé du Louvre | Collection privée française |
"Les Bergers d'Arcadie II" et "Le Repos Pendant la fuite en Egypte à l'éléphant"
Maintenant que nous savons avec certitude que Poussin a peint un second tableau avec le même monument funéraire que dans "Les Bergers d'Arcadie II", quelles en sont les implications pour le mystère de Rennes-le-Château et le tombeau des Pontils ?
Le tombeau des Pontils était connu de la population locale et des environs depuis bien avant qu'il soit associé au mystère de Rennes-le-Château au début de l'année 1971, grâce au chercheur et chasseur de trésors Jean Pellet (1931-2012).
Le tombeau des Pontils et Jean Pellet (1931-2012)
Depuis cette découverte et la parution de l'article "Promenade initiatique dans les gorges de l'Aude" écrit par Pellet en collaboration avec Gérard de Sède dans le numéro 9 du Grand-Albert en juillet 1972, on a longtemps pensé que Poussin avait peint ce tombeau et le paysage montagneux en arrière-plan (Cardou, Blanchefort, et le sommet de la colline de Rennes-le-Château). Dès cet instant et pour beaucoup, ce tombeau a fait partie intégrante de l'énigme qui gravite autour de l'abbé Saunière, bien que les biographes de Poussin aient établi clairement qu'il ne s'était jamais rendu dans le sud-ouest de la France.
Dans son livre "Rennes-le-Château étude critique" paru en 1978, le chercheur Franck Marie a établi que le tombeau des Pontils avait été construit au début des années 1930 par un ingénieur américain, Louis Lawrence. Poussin n'a donc pas pu peindre ce monument funéraire. Il semble plutôt que Lawrence - sous l'influence ou non d'autres personnes locales - ait pu vouloir imiter aux Pontils la scène des "Bergers d'Arcadie II".
En 2020 le chercheur français Patrick Mensior a également démontré dans son article "Curiosités et découvertes programmées de la belle histoire" que la découverte du tombeau des Pontils par Jean Pellet était plutôt une découverte "programmée" par Gérard de Sède et Pierre Plantard.
En réalité, Plantard et de Sède avaient déjà découvert le tombeau des Pontils plus tôt, lors de leurs premières explorations de la région dans les années 1960. Ils ont probablement vu la similitude entre la tombe des Pontils et la tombe représentée dans le tableau Les Bergers d'Arcadie II. Ainsi, Plantard et de Sède, par l'intermédiaire du "découvreur" Jean Pellet, ont ensuite ajouté le tombeau des Pontils et le tableau "Les Bergers d'Arcadie II" de Poussin au mystère de Rennes-le-Château comme désinformation.
Nonobstant, certains ont argué qu'un tombeau similaire avait existé avant celui de Lawrence, mais avait été détruit. Toutefois, aucun élément concret n'est venu appuyer cette hypothèse. Quoi qu'il en soit, d'après le plan cadastral, il est certain qu'un cimetière a existé à cet endroit bien avant que Lawrence ne construise son tombeau.
"Le repos pendant la fuite en Egypte à l'éléphant" conforte-t-il l'hypothèse selon laquelle Poussin aurait été présent aux Pontils et qu'il aurait donc représenté la tombe et son paysage ? Selon moi, il semble que ce ne soit certainement pas le cas.
Sur le tableau de Poussin qui a récemment été découvert, on ne reconnaît aucun paysage montagneux digne de ce nom autour du tombeau. Inutile donc de chercher à identifier les pics de Cardou et de Blanchefort, encore moins la colline de Rennes-le-Château. La Sainte Famille paraît aussi se reposer contre une maçonnerie en pierre qu'on ne voit nulle part dans les "Bergers d'Arcadie II". Cette maçonnerie n'apparaît pas non plus aux Pontils, outre le fait qu'on ne voit pas où il aurait pu être érigé. De plus, à côté du tombeau et de l'éléphant, on ne distingue aucun chêne alors qu'il y en a près du monument funéraire des bergers aussi bien qu'aux Pontils. Enfin il n'y a pas non plus de bâtons de bergers qui se prêteraient à la construction de toutes sortes de figures géométriques imaginaires.
Ce tableau semble donc confirmer une fois de plus que le paysage des "Bergers d'Arcadie II" n'a rien à voir avec celui des Pontils et environs. Le paysage arcadien imaginaire des "Bergers d'Arcadie II", tout comme celui du "Repos pendant la fuite en Egypte à l'éléphant", sont purement issus du cerveau artistique créatif de Poussin.
Après des années d'incertitude quant à la disparition probable du tableau, il est apparu que "Le repos pendant la fuite en Egypte à l'éléphant" de Nicolas Poussin existe toujours. Il se trouve dans la collection privée d'une famille française, qui - pour des raisons de confidentialité - préfère ne pas le vendre. C'est également la raison pour laquelle rien n'a été connu sur ce tableau pendant des années. Je me sens personnellement honoré d'être le premier à porter ce tableau original de Poussin à l'attention du monde de Rennes-le-Château.
La découverte de ce tableau renforce également le fait que le tombeau des Pontils n'a rien à voir avec le mystère de Rennes-le-Château. C'est de la pure désinformation ajoutée à l'histoire de Bérenger Saunière et de Rennes-le-Château par Pierre Plantard.
Le tombeau des Pontils et "Les Bergers d'Arcadie II" de Poussin
étaient ajoutés au mystère de Rennes-le-Château comme désinformation par Pierre Plantard.
En 1978, le chercheur Franck Marie avait déjà démontré que ce tombeau avait été construit dans les années 1930 par Louis Lawrence. L'artiste français Nicolas Poussin n'a pas été sur place pour immortaliser le paysage autour des Pontils dans les "Bergers d'Arcadie II". Le paysage et les alentours du tombeau similaire dans "Le repos pendant la fuite en Egypte à l'éléphant" est tout à fait différent de celui des "Bergers d'Arcadie II". Ce tableau renforce l'hypothèse selon laquelle Louis Lawence a construit le tombeau des Pontils d'après la représentation des "Bergers d'Arcadie II".
Enfin, pour ce qui concerne l'éléphant, Poussin aura vraisemblablement intégré cet animal exotique à son tableau pour localiser la scène en Egypte, c'est-à-dire en Afrique, où avait fui la Sainte famille. L'éléphant était l'animal le plus représentatif, puisque Poussin en avait vu un semblable - vivant - à Rome en 1630. L'ironie de l'affaire est que Don Diego est un éléphant indien avec une bosse et de petites oreilles, alors qu'un éléphant africain a un dos creux et de grandes oreilles ! Mais nous couvrirons volontiers cette petite erreur de Poussin avec un manteau d'amour.
Je veux remercier mon ami Paul Saussez qui a gentiment traduit mon texte néerlandais vers le français. Merci Paul, vous êtes un seigneur!
Sources: